Rencontre avec Patrick Damiaens, sculpteur ornemaniste sur bois qui a reçu, en 201 5, par arrêté royal, la médaille d’or des élites du travail de Belgique. Découvrez son métier d’ornemaniste et son univers.
Cet article est un extrait de l’article publié dans le magazine Castellissim 4. Dans la version complète, vous connaîtrez l’incroyable découverte que Patrick Damiaens a faite dans un salon d’antiquités, et qui l’a emmené au Royaume-Uni, et son procès contre une entreprise multinationale de décoration.

Patrick Damiaens, quel est votre parcours ?
Je vis à Maaseik, berceau des frères et peintres Van Eyck, à la frontière avec les Pays-Bas et l’Allemagne. Enfant, mes parents m’emmenaient souvent au musée, parfois contre mon gré. Dans les bibliothèques, j’étais plongé dans les livres d’histoire, d’archéologie et d’histoire de l’art. Je voulais d’abord être archéologue, mais je me suis finalement tourné vers une école professionnelle.
Après avoir suivi une formation de six ans en ébénisterie et menuiserie durant mes études secondaires, j’ai étudié les arts ornementaux pendant quatre années : une année de sculpture sur bois et trois années d’ornementation en bois à l’Institut Don Bosco (Liège). Parmi les trente-six élèves inscrits, douze ont été sélectionnés après un test de dessin pratique : une fille (francophone) et onze garçons, dont quatre flamands. J’ai obtenu mon diplôme en 1989. Peu après la fin de mes études, l’Institut fermera irrévocablement ses portes après cent dix-sept ans.
Vous êtes spécialisé dans le mobilier liégeois du XVIIIe siècle, qu’est- ce qui caractérise ce style ?
En raison de la formation approfondie dispensée à l’Institut Don Bosco, il était évident que la base de la formation serait le style liégeois de l’ameublement, courant dans la région au XVIIIe siècle. Le style liégeois est une interprétation locale des styles de la cour française, tout en ayant son identité propre. L’ornementation liégeoise est, par exemple, plus détaillée et plus raffinée dans son exécution. Cela implique, entre autres, que l’artiste ornemaniste sur bois doit être très créatif afin de saisir les caractéristiques et subtilités. Cet art décoratif ne paraît jamais trop lourd ; il est d’un grand raffinement.
La principauté de Liège a été fondée au Moyen Âge. Au XVIIe siècle commence la période dorée ; l’aristocratie et la bourgeoisie attirent de nombreux artisans dans leur ville. Les meubles en chêne richement décorés sont caractéristiques du XVIIIe siècle. Paris a été la principale source d’inspiration, mais Liège a développé son propre style avec une identité très spécifique. Ce n’est certainement pas une copie de meubles français. La plus belle collection de meubles liégeois se trouve au Musée d’Ansembourg à Liège.
À l’époque actuelle où les meubles design fabriqués industriellement prennent le contrôle de la plupart des intérieurs, la sculpture sur bois traditionnelle que j’effectue est presque « un acte de résistance ».
Quelles sont vos inspirations pour créer ?
Je ne fais pas vraiment de recherches « historiques », je n’ai pas suivi d’études supérieures pour cela, mais je sais ce qu’est la justesse du style. C’est aussi un ressenti du sculpteur ornemaniste sur bois, de savoir ce qui est approprié ou ne l’est pas.
Une demande d’un client commence par un croquis, une photo et l’ensemble des exigences. Cela me permet de faire un dessin de travail grandeur nature avec les ornements dans le style de la période désirée. Le plan d’exécution est ensuite transféré sur le bois. Parfois nous réalisons aussi des modèles en argile des ornements à réaliser en bois, ils servent à donner au client une idée de la commande. Ces modèles uniques servent d’exemples sur l’établi du menuisier, une sorte d’inspiration pour couper le bois.
Mes sources d’inspiration sont les maquettes en plâtre, les visites de musées et de châteaux, de vieux recueils ou simplement des visites à Paris.
Travaillez-vous avec des partenaires ?
Oui, je travaille avec plusieurs artisans dans mon atelier et certaines missions sont réalisées avec d’autres artisans, tels que des tailleurs de pierre, doreurs, menuisiers, etc. En 2014, avec un auteur, un photographe et un éditeur, j’ai écrit un livre intitulé « Manufactum », qui décrit le travail et le métier de vingt artisans dont un doreur sur cuir, un forgeron, un stucateur de scagliola, un artisan vitrailliste, etc. Ce livre met en lumière des maîtres du travail manuel, des personnes et entreprises qui fabriquent des produits pour lesquels le travail manuel, la connaissance, la tradition, le savoir-faire, les matériaux et leurs connaissances sont essentiels. Cela concerne des produits qui, en raison de leur qualité, de leur unicité et de leur exclusivité, ne peuvent être fabriqués que par des mains humaines, une touche d’excellence, de tradition et de la maîtrise.
Quelle création vous a le plus marqué ?
Chaque création qui sort de notre atelier, petite ou grande, est spéciale pour moi, il n’est pas vrai qu’une certaine gamme de prix soit une référence. Les petites missions peuvent se révéler passionnantes. Je pense que l’argent n’est pas une motivation en soi ; ce qui compte, c’est ce que vous en faites. Mes missions viennent du monde entier, mais chaque fois que j’envoie un colis ou une caisse en bois, avec l’entreprise de livraison « DHL », contenant l’un de « mes enfants » c’est un moment émouvant. Les moments spéciaux sont toujours les commandes avec un élément de personnalisation tel qu’un blason familial héraldique en bois, parce qu’il a été créé spécialement pour une personne ou pour une famille. Les commandes pour une collection de musée, des monuments historiques, des restaurations d’intérieurs représentent, à chaque fois, un nouveau défi.
Mes clients sont presque tous des particuliers et si je reçois une demande tous les deux mois, je suis très satisfait. Je reçois également de nombreuses demandes de prix de la part d’entreprises, mais je n’ai jamais reçu de mission concrète de leur part. Apparemment, ils préfèrent faire appel aux polonais et aux tchèques pour faire plus de bénéfices. J’ai eu une autre expérience désagréable lorsqu’on m’a demandé de sculpter une colombe à placer au-dessus d’une chaire restaurée dans l’église Sainte-Anne de Bruges, que j’avais décrite sur mon blog. Par la suite, cependant, j’ai dû constater que mon œuvre n’avait finalement pas été placée dans cette église. Bien sûr, ces clients n’avaient pas besoin de m’appeler après coup, mais si je mets mon cœur et mon âme dans quelque chose de beau, je veux aussi que le résultat de mon travail soit visible.
Je n’ai pas vraiment l’impression de « travailler » ; mon travail est d’abord un plaisir, et j’essaie de remplir mon temps sur cette terre d’une manière porteuse de sens. La liberté spirituelle que j’éprouve, et qui me permet de pratiquer ce métier unique, n’a pas de prix.
Qui sont vos clients ?
Mes clients viennent du monde entier, ce sont des musées et surtout des particuliers et membres de la noblesse, nonante-cinq pour cent de mon chiffre d’affaires est destiné à l’exportation. En plus de la Belgique, mes clients viennent du Brésil, d’Angleterre, de Dubaï, de Russie, du Royaume-Uni, de Norvège, des Pays- Bas, de Finlande, des Etats-Unis, de Suisse, d’Espagne… même de Chine. Tous les articles sont expédiés avec la société de transport « DHL ».

Comment vous faites-vous connaître ? Comment attirez-vous des clients ? D’où vient votre réputation internationale ?
Personnellement, je ne fais rien pour attirer des clients. Je fais juste, avec passion, mon travail, de la sculpture ornementale sur bois. Toutefois, je publie régulièrement de nouvelles photos sur mon site internet et j’écris des articles sur mon blog. Il apparaît que des personnes du monde entier estiment que mes créations sont d’une qualité remarquable. Je n’y pense pas, je trouve charmant que les clients viennent me trouver et me posent les questions les plus diverses, mais je ne sais pas d’où vient ma réputation, probablement grâce aux images de mon travail sur internet.
Je n’utilise que des ciseaux à bois, une petite défonceuse et une scie sauteuse dans mon travail. Je travaille toujours à la maison dans mon atelier de vingt mètres carrés, habillé de ma tenue de sculpteur (ornemaniste) sur bois. Mes exigences élevées de finition sont ma marque de fabrique et mon assurance pour l’avenir, car ils garantissent que dans cent cinquante ans, les amateurs d’art pourront encore reconnaître que mes œuvres sont des « Damiaens ». J’ai également travaillé pour des familles nobles et je suis bien conscient du fait que, par exemple, un blason est très personnel et se transmet de père en fils.
L’une de mes caractéristiques, et atouts stylistiques les plus importants, est sans aucun doute la finesse de l’exécution (après tout, j’ai reçu ma formation à Liège et la sculpture sur bois y est si raffinée que j’ai appris à travailler de cette façon), même sur de grandes créations. Par ailleurs, j’ajoute souvent une libellule à mes œuvres comme signature sculpturale, bien que mes œuvres soient en tout cas signées avec mention de l’année.
La formation et le transfert de connaissances sont importants pour vous. Comment transférez- vous votre savoir ?
Depuis 1997, je donne également des cours du soir dans ma discipline pour un groupe de passionnés et d’étudiants, actuellement le jeudi soir et le samedi matin et ce pour des raisons pratiques : les étudiants viennent de loin (Allemagne, Amsterdam, Rotterdam, La Haye, Anvers, Namur,…). Tous les groupes d’âge de 19 à 70 ans y participent et les trois quarts des personnes intéressées sont des hommes.
Malgré cet artisanat séculaire, j’utilise largement les moyens de communication contemporains tels que mon blog (adresse : http://ornamentsnijder.blogspot.com) de la sculpture sur bois qui inclut toutes sortes de faits ludiques tels que mes visites de musées, mes créations, … ainsi que Facebook et des films pour mettre en lumière mes oeuvres. Mon site https://www.patrickdamiaens.fr peut être lu sur un smartphone et est disponible en français et en néerlandais.
Les robots de fraisage pourraient- ils être utilisés pour sculpter le bois ?
La programmation du robot de fraisage est un processus très long et complexe. Or, un ornemaniste fait presque toujours des pièces uniques, de sorte qu’il ne fait qu’une seule réalisation d’un dessin. L’application de cette nouvelle technique serait trop chère et compliquée.
Vient ensuite la sculpture proprement dite : modelage puis découpe. Le plan de travail montre en fait des projections sur la surface plane de toutes les formes. En sculptant, l’ornemaniste ajoute la troisième dimension afin d’obtenir la forme spatiale. Contrairement aux contours définis dans le dessin, la sculpture en hauteur a un aspect esthétique qui ne peut pas être spécifié en termes de taille.
L’introduction de l’imprimante 3D ?
Une innovation très populaire est la numérisation 3D et l’impression 3D. Tout ornemaniste qui se respecte ne sortira pas sans un carnet de notes et un appareil photo lorsqu’il visite un musée ou un château. Ici, la numérisation 3D peut s’avérer très utile, en particulier lors de la préparation d’une mission. La numérisation 3D peut également être utilisée pour déterminer les dimensions à l’aide d’un logiciel approprié. Les ornements peuvent alors être vus de tous les côtés dans l’atelier et jugés sur leurs intérêts pour la commande.
C’est une bonne chose qu’il existe des scanners 3D et des imprimantes 3D abordables sur le marché. Mais, malheureusement, cela implique aussi que les personnes qui n’ont aucune connaissance du sujet peuvent s’engager dans la production de décorations. Lorsqu’il s’agit d’objets ou d’ornements scannés, le résultat est encore quelque peu justifié d’un point de vue stylistique. Ce sera différent si vous commencez à partir d’images ou de dessins d’une imprimante 3D pour produire un ornement. Les designers, dépourvus de la connaissance que les ornemanistes acquièrent après des années de pratique, déterminent le relief de l’ornement en quelques clics de souris seulement. Les ornements produits de cette façon ne peuvent pas correspondre au travail d’un artiste ornemaniste. Pour moi, il est évident que les imprimantes 3D n’ont pas d’avenir dans l’atelier du sculpteur ornemaniste sur bois.
Le développement des innovations ne peut être arrêté et ne doit pas l’être, mais il faut examiner très soigneusement si une innovation convient à l’atelier du sculpteur d’ornements en bois. Pour l’instant, en plus de ma formation, j’ai assez de mes outils de sculpture pour concevoir et produire des pièces de haute qualité.
Découvrez l’article complet dans le magazine Castellissim 4. Patrick Damiaens y explique l’incroyable découverte qu’il a faite (et qui l’a emmené au Royaume-Uni) et son procès contre une multinationale (dans le domaine de la décoration).
INFORMATIONS COMPLEMENTAIRES concernant Patrick Damiaens : à retrouver ici
Crédits Photos : Patrick Damiaens, site internet : www.patrickdamiaens.fr



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